Ministère des Armées : un budget sans défense
Après cinq années au cours desquelles l’ambition politique portée par François Hollande et Jean-Yves Le Drian avait permis d’acter des orientations budgétaires au profit de la capacité militaire du pays, la nouvelle majorité a choisi de réduire de 850 millions d’euros le budget des Armées de 2017. Or, ces 850 millions d’économies ressemblent à une punition pour « mauvaise gestion », la somme coïncidant au delta entre le prévisionnel et le dépensé en matière d’opérations extérieures (OPEX). Cette rigueur budgétaire ne sera pas sans conséquence, tant sur l’exposition de nos soldats, notamment en matière de renouvellement de leurs matériels, que sur notre autonomie stratégique. Sur ce point, les 850 millions d’Euros manqueront assurément à la guerre de demain. Par Alexandre Papaemmanuel, maître de conférences à Sciences Po, auditeur de la 68ème session nationale Politique de défense de l’Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN)
La fin de cycle d’un grand nombre de nos matériels militaires hérités de la guerre froide constitue un défi de taille. Une rupture s’impose, un renouvellement est nécessaire. En effet, le Livre Blanc précédent et la Loi de Programmation associée avaient défini un modèle d’Armée 2025 décliné en cible capacitaire et donc en équipements et matériels. Et rien n’indique que le nouveau Président de la République ait modifié ces ambitions. Or, la Cour des Comptes a estimé, que pour répondre aux ambitions de ce modèle d’Armée, il conviendrait d’augmenter le budget de la Défense de 10 milliards d’euros avant 2025, en complément des dépenses planifiées.
Nos soldats exposés
Le financement de la dissuasion nucléaire soulève les mêmes défis à l’horizon 2020-2022. Il justifierait d’ailleurs à lui seul un budget à 2% du PIB, sans servir d’autres ambitions. La récente réduction du budget et les reports de charges vont impacter avant tout l’investissement et les crédits alloués à l’équipement des forces. Cette diminution signifie moins d’entrainement et des équipements qui ne pourront être renouvelés ou modernisés.
Les moyens opérationnels des Armées risquent d’être une nouvelle fois décalés, qu’importe qu’il faille engager le renouvellement de la flotte des hélicoptères des Armées, des avions de transport tactique, de frégates et des matériels terrestres. D’autant que, même en augmentation, le budget des Armées ne permet pas d’absorber, d’ores et déjà, l’ensemble des opérations d’armement lancées.
Or, repousser un programme d’armement revient à retarder la livraison d’un matériel pouvant faire la différence sur le théâtre d’opération. A titre d’exemple, une charge utile sur un drone Reaper (permettant d’intercepter les communications ennemies au moment où ils posent une charge IED sur nos axes logistiques) est un outil indispensable pour assurer la sécurité et l’efficience de l’action de nos Armées. Cette même charge peut également permettre de détecter leur déplacement lors d’une manœuvre opérationnelle et anticiper une attaque surprise.
Sans renouvellement de ce matériel vétuste, la protection de nos soldats ne sera jamais optimale. Le Général Elrick Irastorza, ancien chef d’état-major de l’armée de Terre, l’avait rappelé : le défi est de « fournir à nos troupes, aujourd’hui et demain les matériels les mieux adaptés à nos engagements les plus probables… »
Car, au-delà de l’équipement, ce sont les soldats qui assumeront les conséquences des réductions budgétaires, à l’heure où, comme le souligne l’ancien CEMA, le général Pierre de Villiers, « plus de 30 000 soldats sont en posture opérationnelle, à l’intérieur et à l’extérieur de nos frontières, de jour comme de nuit et depuis maintenant plus de deux ans. A cette sollicitation opérationnelle s’ajoute la dispersion des théâtres sur lesquels les armées sont déployées ».
Notre autonomie stratégique mise à mal
Alors que les surcoûts OPEX et MISSINT se confirment et que la sous-évaluation des dépenses de fonctionnements (Titre II) est récurrente depuis six ans, trois leviers opérationnels sont à la main du ministère des Armées pour effectuer les 850 millions d’euros d’économies en 2017 :
- Temporiser les opérations en périphérie des opérations d’armement ;
- Annuler les dernières priorités décidées lors de l’exercice dit de « variation annuelle du référentiel » ou « version actualisée du référentiel » (VAR) 2016 et 2017 et non inscrites en programmation. Ce levier concerne des mesures non prévues dans les contrats et la programmation qui représentent quelques millions d’euros. Elles présentent donc le risque le plus élevé en terme de non réalisation. Pareille décision aura par exemple pour conséquence : 1) L’arrêt de l’accélération des commandes d’Armes individuelles Futures pour remplacer le FAMAS ou encore 2) l’annulation du marché de tablettes NUMeric TACtique devant équiper les blindés légers et les Véhicules d’Avant Blindés en remplacement des tablettes actuelles incompatibles avec le Système d’information et de combat Scorpion, etc.).
Retarder les opérations inscrites en programmation 2018.
Ces leviers, en impactant les opérations, jouent bien évidemment de manière négative sur l’outil industriel. Car c’est à l’aune de sa capacité d’investissement et donc des opérations d’armement, que le volontarisme politique prend corps.
Une opération d’armement a besoin d’un cadre strict car l’échelle de temps est longue, s’inscrivant sur 40 ans (10 ans de conception et 30 ans d’utilisation), sur un rythme asynchrone par rapport au quinquennat présidentiel. S’il est vrai qu’ils n’auront pas d’impact sur les engagements présents, ces 850 millions manqueront assurément à la guerre de demain.
D’autant qu’ils s’ajoutent aux choix budgétaires déjà réalisés et dont hérite la nouvelle majorité sans pouvoir ignorer leurs conséquences. En effet, comme déjà évoqué, la précédente LPM avait fait le choix de maintenir en service le plus longtemps possible des équipements militaires, tout en reportant les travaux d’initialisation nécessaires à leur renouvellement.
Or ces renégociations s’étaient opérées sans que le complexe militaro industriel ne soit pointé du doigt. Ces 850 millions correspondent donc à une double peine pour une industrie qui avait déjà consenti des efforts sur l’élongation des livraisons et donc les échéanciers de paiement associés. Car, retarder les livraisons, c’est retarder les versements étatiques, une formule bête et méchante pour gérer un budget en faisant passer ses contraintes financières sur les fournisseurs.
En définitive, certains investissements étant sanctuarisés, d’autres étant décalés ou reportés, cela impactera d’autant les capacités militaires indispensables pour manœuvrer sur le champ de bataille. Comment inscrire en toute sincérité de nouvelles capacités opérationnelles dans un exercice budgétaire rigide ? Le costume est taillé à l’excès au plus juste mais ne permet plus aucun mouvement !
Conclusion – Il faut désormais savoir gagner la paix
La réduction budgétaire de 850 millions d’euros souligne qu’à l’heure où les Armées sont engagées sur de nombreux théâtres, la souveraineté financière est pensée sans adhérence aucune avec la souveraineté militaire. Les critères de Maastricht et leur respect ont imposé une coupe sombre non réfléchie, ne questionnant ni le modèle des Armées, ni son contrat opérationnel. Cette coupe aurait pu être l’occasion de repenser l’action du ministère mais il fallait aller vite et donner des gages avant de penser l’exercice de la puissance militaire !
De fait, la réduction des 850 millions, le report de charges induit, et la budgétisation des OPEX grèvent cette remontée en puissance alors que la transformation du ministère se poursuit dans un contexte de forte mobilisation opérationnelle.
Que Jupiter porte la volonté et la puissance de la France est une nécessité pour donner un cap à l’action du pays. Cependant, le cap manque et, à trop désincarner Mars, il va créer une rupture qui laissera une marque profonde dans la communauté de Défense dont la réussite dépend de sa cohésion.
Mars, dieu de la Guerre est aussi dieu du Printemps. Espérons des lendemains qui chantent ! La prochaine LPM doit être une opportunité pour repenser en profondeur l’action du ministère des Armées. Le budget de la défense cristallise de nombreux enjeux mais nécessite une adhésion de chacune des parties prenantes. Il doit servir une ambition et ne doit pas être une simple variable d’ajustement.
Le temps doit désormais être celui de la concertation plus que de la confrontation. L’ennemi n’attend que notre division.
NOTES
1) Référé n°S2017-2172.
2) Comme le rappelle par exemple le rapport d’information n° 85 (2016-2017) de M. Dominique de LEGGE, fait au nom de la commission des finances, déposé le 26 octobre 2016 : les forces projetées dans la bande sahélo-sahélienne, où la température peut atteindre les 50 voire 60 degrés, interviennent dans des VAB datant des années 1970 sans climatiseur.http://www.senat.fr/rap/r16-085/r16-0854.html
3) DSI, HS n°55, aout-septembre 2017, p19
4) La VAR est un exercice budgétaire qui se déroule de février à avril. Il permet au ministre de redistribuer ses efforts en se basant sur le document prévisionnel de gestion (DPG) diffusé en début d’année. Ce dernier document fixe le plan d’emploi des autorisations d’engagement (PEAE).
Dans le détail, la VAR donne lieu à deux types de fiches de mesures : les fiches financières (proposition DGA avec avis capacitaire EMA) et les fiches capacitaires (proposition EMA avec avis financier DGA).
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