ARTICLE d'E. Maurice (AA75) sur la victoire de Tusk en Pologne
La victoire de Tusk en Pologne ne règle pas tout
Les élections législatives du 15 octobre en Pologne étaient décrites comme les plus importantes depuis celles du 4 juin 1989, qui avaient signé la fin de la domination des communistes dans le pays. La victoire de l’opposition rassemblée derrière Donald Tusk tourne effectivement une page de l’histoire de la Pologne, celle du gouvernement conservateur et nationaliste du parti Droit et Justice en place depuis 8 ans. Depuis dimanche soir, l’Europe pousse un soupir de soulagement.
Cinquième pays le plus peuplé et sixième économie de l’UE, la Pologne est un grand d’Europe qui cherche encore sa place et son rôle. Tusk, qui a été membre du Conseil européen comme premier ministre de 2007 à 2014, puis comme président de 2014 à 2019, va y faire son grand retour auréolé de sa victoire symbolique contre l’illibéralisme, et avec le poids politique de son expérience. Sa stature devrait permettre à la Pologne de sortir de la marginalisation dans laquelle les outrances du PiS la cantonnaient, et de peser davantage sur les grands équilibres politiques d’une UE secouée par les crises à répétition.
Pour autant, aussi nette soit sa majorité – 248 sièges contre 194 pour le PiS - c’est un chemin difficile qui commence pour la Coalition civique, et les Européens devront s’armer de patience avant de célébrer une Pologne « normalisée ».
Tout d’abord, le PiS est vaincu mais pas défait, et son leader Jaroslaw Kazcynski fera tout pour compliquer la tâche de son ennemi juré Donald Tusk. L’Etat mis en place par le PiS depuis 2015 lui laisse de nombreux leviers, en particulier dans la justice, les services de sécurité et les médias publics, pour entraver ou ralentir l’action du prochain gouvernement. Surtout, le PiS dispose d’une carte maîtresse en la personne du président de la République, Andrej Duda, qui dispose d’un droit de veto sur les lois votées. Une majorité des 3/5 à la Diète, la chambre basse, étant nécessaire pour contourner le veto présidentiel, le PiS dispose d’une minorité de blocage sur les textes essentiels.
Tusk n’aura donc pas les mains libres pour répondre à l’attente principale de l’Union européenne, celle d’un retour à un Etat de droit conforme aux valeurs et aux règles communes. Pour l’UE, l’enjeu est de mettre un terme à une situation qui sape ses fondements juridiques, fragilise ses institutions et affaiblit sa capacité d’action. Pour la Pologne, l’enjeu est de fermer les procédures engagées contre elle, notamment devant la Cour de Justice européenne, et plus encore de débloquer les 35 milliards d’euros du plan de relance européen post-Covid, soit l’équivalent de 5 % du PIB polonais de 2022, retenus en vertu du mécanisme dit de conditionnalité budgétaire.
Le futur gouvernement va devoir gérer cette cohabitation jusqu’à l’été 2025, terme du mandat de Duda. La nouvelle majorité devra donc remporter la présidentielle à ce moment-là pour avoir les mains plus libres. Dans l’intervalle, elle devra également confirmer sa victoire de dimanche lors des élections européennes de juin prochain. Enjeux nationaux et européens vont donc s’entremêler dans les années à venir, d’autant que la Pologne assurera, de janvier à juin 2025, la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne.
Outre l’Etat de droit, les sujets sont nombreux sur lesquels le futur gouvernement polonais devra prendre position au niveau européen, au risque d’alimenter la polarisation aigüe constatée lors de la campagne électorale qui vient de s’achever : migration, transition climatique et énergétique, réforme de l’UE en vue de l’élargissement aux Balkans occidentaux, à la Moldavie et à l’Ukraine. Tusk devra en outre gérer les équilibres au sein d’une coalition hétérogène, qui va du centre droit à la gauche en passant par un parti paysan qui fera peu de concessions sur les questions agricoles et environnementales. Même sans le PiS, les intérêts de la Pologne ne coïncideront pas forcément avec ceux de ses partenaires européens, Allemagne et France en tête. La victoire de Tusk est une bonne nouvelle pour l’Europe, mais elle ne règle pas tout.
Eric Maurice
Responsable du bureau bruxellois de la Fondation Robert Schuman
AA75
Publié sur le site Le Temps
17/10/2023
Autorisation de publication obtenue auprès de l'auteur de cet article
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