EUROPE : 3 dirigeants d'entreprise répondent aux questions de l'AA-IHEDN
Trois dirigeants d’entreprise, Bernard Guirkinger, ancien président de la Lyonnaise des Eaux et DGA de Suez Environnement, administrateur de la Compagnie générale du Rhône, Jean Mouton, Senior Partner Emeritus du Boston Consulting Group (BCG), Président du Conseil d’Administration de Nexans et Thierry Sueur, Président de Pax Europa, ancien vice-président d’Air Liquide chargé des Affaires européennes et internationales, se sont engagés dans Pax Europa. Ils répondent aux questions posées par l’AA-IHEDN dans le cadre de la réunion européenne organisée en mai 2023
Question : L’Association Pax Europa porte le projet de création une alliance d’entreprises pour approfondir la conscience européenne. Dans votre vie professionnelle, avez vous rencontré des situations où une meilleure compréhension entre Européens aurait favorisé le courant d’affaires ?
Bernard Guirkinger : L’Union européenne a été fondée sur la création d’un marché unique qui a permis aux entreprises européennes de croître et d’être compétitives au niveau mondial. Le marché unique et l’union européenne ont été un formidable accélérateur de la prospérité économique. Paradoxalement, l’entreprise européenne en tant que telle n’a pas émergé. La plupart des grands groupes européens ont gardé une identité nationale (Siemens est allemand, Renault est français, etc.) Une meilleure connaissance de notre histoire commune et de nos valeurs partagées permettrait certainement de consolider les grandes entreprises européennes pour les rendre plus fortes face à la concurrence internationale.
J’ai vécu cela avec Suez Lyonnaise des Eaux, entreprise française avec de nombreuses implantations dans les différents pays européens. Ses filiales sont restées des filiales et n’ont jamais été totalement agrégées au cœur du système de management du groupe. Le groupe pour lequel j’ai travaillé aurait dû investir plus dans la recherche d’une culture interne européenne commune pour sortir du tropisme français.
Thierry Sueur : Les Européens adhérent globalement à des principes démocratiques communs mais ont des passés historiques différents qu’il est essentiel de connaitre pour les entreprises qui emploient des collaborateurs européens de diverses nationalités. Les vocabulaires, la notion d’autorité et de hiérarchie, les façons de travailler... portent l’empreinte du passé et la connaissance de celui-ci est source d’efficacité pour les entreprises.
Question : Dans un monde où les pôles de puissance se multiplient et où les leadership sont remis en cause: Asie, Moyen-Orient, nouveaux alignés … l’histoire peut-il être le socle culturel qui favorisera une meilleure intégration européenne, synonyme de puissance ?
Jean Mouton : Pour ma part, je parlerai de mon expérience avec l’Italie.
Il me semble nécessaire de « Rétablir un climat de confiance » avec ce pays. Une meilleure connaissance de l’histoire peut nous y aider. Je prendrai l’exemple d’un fait récent : après tous les accrochages des dernières années avec ce pays, Sergio Mattarella, l’exceptionnel Président de la République Italienne, était à Paris il y a quelques jours pour inaugurer l’exposition « Naples à Paris » où Capodimonte a prêté au Louvre plusieurs œuvres qui n’avaient jamais quitté la capitale parthénopéenne, contrairement à d’autres, dans des conditions plus discutables. Son équipe a de nouveau remis au gouvernement français la liste des œuvres qui ont « voyagé » de l’Italie vers la France au moment des guerres napoléoniennes : plus de deux cent œuvres. Il est important que nous admettions que ces œuvres sont appelées « le opere trafugate » dans la presse italienne, c’est-à-dire transférées chez nous sans aucun droit si ce n’est celui du vainqueur d’alors, en fait son butin.
Cela semble un sujet mineur vu d’un côté, mais ce n’est pas toujours le cas de l’autre. Cela vient s’ajouter à une longue liste, comme l’annexion en 1947 de 700km2 de territoire italien dans la Vallée de la Roya, dont les deux tiers en zone peuplée.
Bien entendu, mon point n’est pas de tout remettre en question et de revenir à l’état des choses à l’aube du monde. Il s’agit seulement de comprendre qu’il y a souvent entre deux états une vision de l’histoire non pas différente mais des non-dits qu’il faut avoir en tête pour que ce « climat de confiance » se développe.
Thierry Sueur : L’Europe est la zone économique la plus importante et le plus grand marché du monde. La réalité doit prendre en compte la diversité des pays et des peuples qui la constitue. On la doit parfois à l’histoire récente, parfois ancienne. Il n’est pas question de modifier cette diversité mais de mieux la comprendre afin de favoriser l’intégration des peuples au sein d’entreprises européennes.
Question : Quels seraient, selon, vous les meilleurs outils pédagogiques à mettre en place pour favoriser la construction européenne ? De quelles façons Pax Europa pourrait s’y inscrire ?
Bernard Guirkinger : Il faut faire réfléchir les chefs d’entreprise et les cadres sur l’histoire, la culture, les valeurs. Il faut assumer notre histoire. Les entreprises doivent jouer un rôle dans le renforcement d’une puissance économique européenne. Elles ont aussi leur partition à jouer dans la lutte contre les nationalismes qui menacent aujourd’hui et la construction européenne, et le marché unique. Les entreprises ont une responsabilité pour éviter un affaiblissement collectif.
Thierry Sueur : Avec son Fab lab, ses ateliers, ses stages interentreprises, ses « learning expeditions » … Pax Europa apporte connaissances et outils pour approfondir la conscience européenne et mieux comprendre les différences d’appréciation ou de compréhension existant entre les différentes nationalités impliquées. A terme, Pax Europa créera un référentiel de l’entreprise européenne et humaniste. C ‘est également un outil pour favoriser l’intégration d’équipes multi-européennes source d’amélioration de la compétitivité des entreprises.
Jean Mouton : La présence d’historiens au sein de Pax Europa peut nous permettre de construire des jeux de rôles inversés sur le récit de conflits entre deux nations, France et Espagne par exemple : une façon de réaliser le hasard des circonstances qui font l’histoire.
Propos recueillis par Sabine Renault Sablonière,
auditrice 58ème session IHEDN,
membre de l’AA-IHEDN et de Pax Europa
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