ARTICLE : "Jacques Chirac et l'IHEDN" par M. Desmoulin (AA39)
L’ancien président de la République, décédé le 26 septembre dernier, avait, à de multiples reprises, exprimé son attachement à l’Institut des hautes études de défense nationale. Après l’ENA, promotion Vauban, dont il sortira 16e avant de rejoindre la Cour des comptes, Jacques Chirac avait choisi l’École d’application de l’arme blindée et cavalerie, pour accomplir son service militaire de 1956 à 1957. Sous-lieutenant, il a 24 ans quand il part pour l’Algérie, prendre le commandement d’une section. Affecté au 6e régiment de chasseurs d’Afrique, pendant quatorze mois passés dans le djebel, à patrouiller près de la frontière marocaine, il dira, plus tard, « ce fut la période la plus passionnante de mon existence ».
Jacques Chirac, jeune, avait déjà, sans le savoir, l’esprit IHEDN!
Qu’est-ce que l’IHEDN ?
C’est en 1936, que le Vice-amiral Raoul Castex proposa à Édouard Ramadier, Vice-président du Conseil, Ministre de la Défense nationale et de la guerre, de créer un Collège qui réunirait chaque année l’élite des officiers supérieurs des trois armées et des hauts fonctionnaires civils représentant les ministères concernés par les questions de défense nationale, pour étudier ensemble les problèmes généraux que soulevaient la préparation de la nation à la guerre ainsi que la conduite des forces armées de terre, de mer et de l’air.
L’amiral voulait créer entre les participants – des auditeurs – une unité de sentiment, de pensée et de doctrine qui puisse garantir l’unité d’action pour préparer en temps de paix et pour assurer en temps de guerre, la défense du pays.
L’amiral précisait, dans le rapport qu’il fit au ministre, que « cette institution ne devait pas être un établissement pédagogique mais être inspiré par une conception éminemment utilitaire et une volonté en mesure de faire face à des nécessités impérieuses ».
Le 14 août 1936, Albert Lebrun, Président de la République, signa un décret créant le Collège des hautes études de défense nationale dont la première session se déroula du 15 septembre 1936 au 1er mars 1937, boulevard Victor à Paris, dans les locaux du Ministère de l’Air.
En 1948, la Seconde Guerre mondiale ayant démontré que la défense du pays ne pouvait être le domaine exclusif des armées et qu’elle concernait tous les citoyens sans exception, la décision fut prise, à l’initiative du Ministre de la défense nationale et de la guerre, Édouard Daladier, de relancer l’idée de l’amiral Castex. C’est ainsi que l’Institut des hautes études de défense nationale succéda au Collège du même nom. Très vite, l’IHEDN devint, par la qualité des participants et celle des conférenciers, le principal lieu de débat et de réflexion sur les questions de défense.
Cinquante ans après la création du Collège des hautes études de défense nationale, en 1986, j’ai eu l’honneur – et la chance – de participer à la 39e session. L’Amiral René Hugues dirigeait l’Institut. Le jeudi 11 septembre, Jacques Chirac, Premier ministre, prononça l’allocution solennelle dans l’amphithéâtre des Vallières de l’École militaire. L’IHEDN dépend institutionnellement du Premier ministre. C’est la raison pour laquelle, le Premier ministre ouvre chaque année la session nationale.
Le 28 novembre 1986, se déroulèrent les cérémonies du cinquantenaire du « Collège des hautes études de défense nationale ». Le matin, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, la séance solennelle réunit 1 300 personnes en présence d’André Giraud, ministre de la Défense et de Madame Ahrweiler, Recteur de l’Académie de Paris. L’Amiral René Hugues, directeur de l’IHEDN, évoqua le rôle joué par l’Amiral Castex, premier directeur du Collège, tandis que Maurice Schumann prononça une allocution sur la France « fragile et éternelle ». Une cérémonie militaire eut lieu sous le porche de l’entrée de l’Institut, 21 Place Joffre, pour la pose d’une plaque commémorative en hommage à l’Amiral Castex. En fin d’après-midi, une gerbe fut déposée à l’Arc de Triomphe sur la tombe du soldat inconnu, par le directeur, l’Amiral Hugues. Enfin, le Premier ministre, Maire de Paris, Jacques Chirac, reçut la 39e session à l’Hôtel de Ville et prononça un discours dans lequel il souligna le rôle essentiel que joue l’IHEDN pour le développement de l’esprit de défense.
Jacques Chirac, élu président de la République, en 1995, l’IHEDN devait, à ses yeux, prendre une place encore plus importante dans le développement de l’esprit de défense. « La réforme Picq », du nom d’un rapport que le Secrétaire général de la Défense Nationale (SGDN), avait remis au Premier ministre, abouti à la décision d’ériger l’IHEDN en Établissement public à caractère administratif (EPA). Cette décision avait pour but de développer l’Institut et d’accroître les liens entre l’IHEDN et la Société française, en impliquant tous les ministères. Un conseil d’administration de grande qualité devait aider le directeur de l’Institut au moment où une nouvelle politique de défense se mettait en place à la suite du Livre Blanc de 1994 qui préconisait la professionnalisation des armées et le démantèlement des armes nucléaires sol-sol du Plateau d’Albion. Le lien Armée Nation était à repenser.
L’Institut dépendant du Premier ministre, il est de tradition que le président de la République ne visite l’IHEDN qu’une fois au cours du septennat, devenu le quinquennat. Le président de la République n’avait jamais reçu l’IHEDN à l’exception de l’entretien que le président Valéry Giscard d’Estaing avait accordé à Pierre Schwed, président – fondateur de l’Union des associations d’auditeurs.
Je présidais l’association nationale et l’Union des associations IHEDN, en 2000, quand le président de la République décida de recevoir la 52e session au Palais de l’Élysée. J’ai le souvenir que le premier délégué de la session, Patrick Hetzel, professeur de droit à Assas, futur Recteur de l’académie de Limoges, aujourd’hui député du Bas – Rhin, me demanda, après le discours de Jacques Chirac : « Est-ce que tu crois que le Président accepterait qu’une photo de la session soit prise avec lui ? » Je l’ignorais, mais, pour lui prouver que le Président était sympa et très attaché à l’IHEDN, je lui répondis : « Viens avec moi, je vais lui demander ». En jouant un peu des coudes, tant le Président était entouré, je réussis à m’approcher et à lui poser la question. Ceux qui ont rencontré Jacques Chirac comprendront. Avec un franc sourire, il me répondit : « Mais évidemment, où voulez-vous que soit prise la photo ? Dehors, dedans ? » Il fit signe à son aide de camp qui n’était jamais loin. « Capitaine, on va faire une photo ; dehors, ce serait bien ? » « Il pleut, Monsieur le Président ! » « Alors, dedans, préparez-nous çà et faites-moi signe quand vous serez prêts. »
Les auditeurs et cadres de la session, regroupés autour du directeur, le vice-amiral Jacques Célérier, du préfet Léonelli et moi, le président de la République vint se placer au centre du premier rang et prit par le coup les deux jeunes femmes les plus proches de lui. Il s’en fallut de très peu que l’une de ces jeunes femmes soit la juge d’instruction Laurence Wisniewski chargée notamment du financement du parti Républicain. Grande, elle s’était positionnée en arrière, comme elle devait le faire à l’école.
Chacun a son « Chirac » ; le mien est associé à l’IHEDN qui occupe une place importante dans mon existence.
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