ENTRETIEN avec le GCA Laurent Rataud
Général Laurent Rataud : « La défense aérienne est consubstantielle de l’ambition de souveraineté »
À l’occasion de la présentation des capacités de l’armée de l’Air et de l’Espace (AAE) cette semaine, le général de corps aérien Laurent Rataud, commandant la défense aérienne et les opérations aériennes, détaille l’importance et les missions de cette armée dans la diplomatie française et la coopération interalliée.
Ancien pilote de chasse ayant servi en notamment en Irak, dans les Balkans, en Afghanistan et en Afrique, le général de corps aérien Laurent Rataud totalise 3 800 heures de vol et 251 missions de guerre. Commandant la défense aérienne et les opérations aériennes (CDAOA) depuis le 1er septembre 2023, il a été auparavant, entre autres, sous-chef « plans-programmes » à l’état-major de l’AAE et commandant en second du Commandement des opérations spéciales. En expliquant les notions de police du ciel et de diplomatie aérienne, il développe pour l’IHEDN l’implication opérationnelle de l’AAE dans la politique étrangère française.
QUELLE EST L’ORIGINE DE LA POLICE DU CIEL ?
Tout d’abord il faut rappeler que le terme de « police du ciel » est une expression donnée à la mission de posture permanente de sûreté aérienne. Cette expression vient du fait que nous sommes chargés de surveiller, détecter, identifier et parfois intercepter les contrevenants aux règles de l’air ou à tout aéronef représentant une menace pour les intérêts nationaux. Au rayon des expressions, il ne faut pas oublier que les aviateurs sont aussi « les pompiers du ciel », dans le sens où nous portons également assistance aux aéronefs en détresse. Des dizaines de vies sont ainsi sauvées tous les ans.
Une autre précision sémantique est nécessaire. La « police du ciel », ou « posture permanente de sûreté aérienne », est un vocable du temps de paix qui appartient au domaine beaucoup plus englobant de la « défense aérienne », souvent assimilée au temps de guerre. Quoi qu’il en soit, derrière les termes de police du ciel ou de défense aérienne, se lit une seule et même idée : celle de faire respecter les conventions internationales certes, mais avant tout la souveraineté de la France dans son espace aérien.
Considérant que la défense aérienne est consubstantielle de l’ambition de souveraineté, c’est au sortir de la Seconde Guerre mondiale que les premiers principes ont été édictés. Fort du traumatisme qu’a représenté la campagne de France et de l’expérience glanée auprès des aviations anglo-saxonnes, décideurs politiques et de l’armée de l’air entendaient restaurer rapidement la souveraineté nationale sur le territoire métropolitain dès la fin 1944. C’est ainsi que le 20 janvier 1945, le général de Gaulle a signé le décret portant création du commandement de la défense aérienne du territoire. Il s’agit là de l’acte fondateur de la souveraineté française dans la troisième dimension.
DANS QUELLE MESURE S’INSCRIT-ELLE DANS LA DIPLOMATIE AÉRIENNE FRANÇAISE ?
Aujourd’hui la défense aérienne française s’inscrit dans la diplomatie aérienne française selon deux facettes : la diplomatie coopérative, et la diplomatie coercitive.
La première vise à coopérer sous plusieurs formes. Pendant une grande partie de la Guerre froide, depuis la sortie de la France du commandement intégré de l’Alliance atlantique en 1966 pour être précis, même si la défense aérienne est restée un objet national, des accords ont été signés en pour maintenir l’échange de renseignements entre le système de détection aérienne de l’OTAN, Nadge, et son équivalent français, STRIDA.
Par ailleurs, croire qu’une défense aérienne nationale peut se suffire à elle seule pour être efficace est une pure vue de l’esprit qui ne résiste pas une seule seconde à l’examen du fait aérien. Il nous faut de la profondeur stratégique pour réaliser à bien cette mission de police du ciel ou de défense aérienne. C’est ce que nous offrent nos alliés limitrophes, c’est aussi ce que nous leur offrons. C’est ainsi que la France a commencé dès 1972 à signer des accords intergouvernementaux en matière de défense aérienne avec tous ses voisins. Par exemple, sur la base de la réciprocité, un avion d’un pays donné assurant la police du ciel peut poursuivre une mesure active de sureté aérienne dans le ciel d’un autre pays avant que les moyens nationaux ne viennent reprendre le relai. La défense aérienne française est également un instrument de souveraineté qui s’exporte au profit de notre politique extérieure. Des États font confiance à l’excellence de l’armée de l’Air et de l’Espace en déléguant tout ou partie l’exercice de leur souveraineté. L’exemple du traité de coopération en matière de défense avec Djibouti est à ce titre remarquable. La défense aérienne est au cœur de cette relation diplomatique, puisque l’AAE est en charge d’assurer la souveraineté aérienne de ce pays en contrepartie d’un accès au point stratégique que constitue la Corne de l’Afrique.
La seconde facette concerne la diplomatie aérienne coercitive : les principaux emplois de la défense aérienne résident dans l’établissement et la surveillance des No Fly Zones ou Zones d’exclusion aérienne (ZEA). Opérationnellement, la création d’une ZEA consiste à acquérir offensivement et à conserver défensivement la supériorité aérienne au-dessus d’un territoire donné. On a évoqué dans ce cas le concept d’« occupation aérienne », sorte de transposition de l’occupation d’un territoire par une force terrestre. Politiquement, une ZEA peut servir soit à contenir le niveau de violence d’un conflit dans une zone déterminée, soit comme mesure de coercition militaire afin de faire changer d’attitude à un adversaire.
Sur les quatre ZEA créées à ce jour, on distingue les ZEA qui ont été imposées par un État à un autre État, comme celles établies par les États-Unis au sein de l’espace aérien irakien en 1991 et 1992, ou les ZEA qui ont été explicitement instaurées par une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies comme en Bosnie-Herzégovine en 1992 ou en Libye en 2011. L’AAE a participé à chacune de ces ZEA avec les opérations Alysse (Southern Watch) de 1992 à 2003, Aconit (Provide Comfort et Northern Watch) de 1991 à 1996, Crécerelle (Deny Flight) de 1993 à 1995 et Harmattan (Unified Protector) en 2011. Cela donne à la France des outils « activables » dans le rapport de force diplomatique.
CETTE DIPLOMATIE AÉRIENNE FONCTIONNE-T-ELLE SEULEMENT AU SEIN D’ORGANISATIONS INTERALLIÉES COMME L’OTAN ?
Elle fonctionne naturellement avec l’OTAN. Déjà parce que l’OTAN surveille en premier lieu les menaces ou provocations de nature militaire ou inconnue, en particulier celles réalisées par la Russie. Ensuite parce que certains pays ont mis leurs moyens de défense aérienne sous commandement de l’OTAN. Ainsi, la défense aérienne française peut aussi bien interagir avec des défenses aériennes sous un commandement national étranger que sous commandement otanien.
A-T-ELLE ÉTÉ RENFORCÉE DEPUIS LA GUERRE EN UKRAINE ? POUVEZ-VOUS DONNER DES EXEMPLES CONCRETS D’ACTIONS RÉALISÉES DANS CE CONTEXTE ?
Elle a bien sûr été renforcée, le contexte l’oblige. Il y a tout d’abord les missions de défense aérienne des forces françaises au sein de l’OTAN avec :
Un détachement permanent de défense sol-air MAMBA déployé à Capu Midia en Roumanie depuis mai 2022, qui assure une protection 24h/24 de la base aérienne de Mihail Kogalniceanu.1940.
Les missions de police du ciel ou Enhanced Air Policing (eAP). Il s’agit de déploiements de 4 chasseurs avec capacité air-air dans les États baltes afin d’assurer la police du ciel. La France honorait un mandat de 4 mois tous les deux ans et assure désormais un mandat par an. Le prochain déploiement aura lieu en Lituanie de décembre 2023 à mars 2024 et sera armé par 4 Mirage 2000-5.
Des missions de renforcement ou « Reinforcement ». L’AAE effectue régulièrement des missions aériennes avec les nations de l’OTAN sous le commandement d’AIRCOM. Suite à l’invasion de l’Ukraine, des patrouilles de surveillance des frontières des pays alliés par des Rafale, avions ravitailleurs et E-3F ont eu lieu depuis la métropole. Ces missions de surveillance de frontières ont évolué progressivement vers des missions de surveillance (E-3F) et des entraînements internationaux.
Sur ce dernier point et pour donner une idée de la réactivité et du savoir-faire de l’AAE, je tiens à souligner que seulement six heures après l’invasion de l’Ukraine, des avions de combat Rafale, des avions ravitailleurs et un AWACS décollaient en direction de la frontière ukraino-polonaise. Il fallait alors s’assurer que l’espace aérien de l’Alliance resterait sous contrôle et afficher notre résolution face à cet acte injustifiable. Ces premières missions réalisées sous contrôle national ont ensuite été transférées à l’OTAN sans aucune difficulté. Cette capacité résulte de nos collaborations quotidiennes avec l’Alliance atlantique et d’un travail de fond permanent, afin de nourrir nos échanges à tous les niveaux. Là encore, la défense aérienne française tient tout son rôle d’instrument de politique étrangère et de coopération interalliée.
IHEDN
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