TRIBUNE du général de l'AAE E. Autellet et A. Papaemmanuel (AA68)
Tribune - "L'IA transforme les paradigmes traditionnels de la guerre"
L’intelligence artificielle (IA) façonne de manière profonde le paysage des conflits modernes, offrant un ensemble de capacités inédites pour renforcer la sécurité. Des drones autonomes aux systèmes de surveillance avancés, l’IA transforme les paradigmes traditionnels de la guerre et soulève des questions cruciales quant à l’avenir des conflits, la place de l’humain dans le processus de prise de décision, et les implications éthiques qui en découlent.
La nature des données militaires – confidentielles par essence et protégées par nécessité – peut être un frein à l’opérationnalisation de l’IA. Secret, sécurité, sensibilité peuvent transformer les armées en forteresse hermétique aux répercussions d’une innovation civile s’imposant sur les théâtres d’opération contemporains.
Aujourd’hui, les opérateurs de drones ukrainiens s’appuient sur les algorithmes pour corriger automatiquement les trajectoires de leurs munitions rôdeuses. Le commandement ukrainien utilise l’IA pour proposer des options opérationnelles. Les soldats tirent parti d’algorithmes embarqués dans des satellites pour détecter les mouvements ennemis. La robotisation du champ de bataille, couplée au déploiement massif de l’IA, ouvre une nouvelle ère où le soldat se voit augmenté. La réalité de cette course aux algorithmes de défense pousse les armées à opérationnaliser rapidement ces technologies pour garantir un avantage significatif.
Talents et supercalculateurs
Comme jadis pour le contrôle de l’atome, la France, consciente de l’importance de l’IA dans le contexte militaire, a inscrit dans la loi de programmation militaire 2024-2030 la nécessité de maîtriser cette technologie, aux côtés des systèmes autonomes et du calcul quantique. Cependant, ces ambitions posent des défis considérables, notamment en matière de ressources humaines qualifiées, de transformation et de relation avec le secteur privé dans un contexte d’économie de défense.
Pour relever ces défis, la France, forte de son excellence académique dans le domaine de l’ingénierie, possède un vivier de compétences mondialement reconnu. Mais mobiliser ces talents au service des armées nécessite une refonte en profondeur des politiques de recrutement, de formation continue, de management et de carrière au sein des institutions militaires et de l’industrie de défense.
Le ministère des armées travaille déjà au développement d’algorithmes d’IA et a intégré le changement de paradigme induit par l’intelligence artificielle dans les systèmes d’armes. Cette évolution doit se poursuivre en cohérence avec les avancées technologiques du secteur civil. Au-delà de la conquête des talents, il est nécessaire de conquérir des capacités de calcul, des serveurs et des supercalculateurs pour accueillir données, logiciels et algorithmes, éléments indispensables à la mise en œuvre d’une stratégie d’IA conquérante.
Cette montée en puissance des moyens et des ressources du ministère des armées permettra de lever progressivement les barrières entre le secteur civil et militaire. En facilitant la collaboration entre les parties prenantes, en tirant parti des méthodes de traitement massif des données, de l’IA ou du jumeau numérique, les données deviennent un terrain d’innovation croisée prometteur. Il est essentiel d’encourager les acteurs du secteur à concevoir des cadres de confiance adaptés, favorisant l’innovation collaborative par le biais des données.
Ces écosystèmes, qu’ils soient ouverts, semi-ouverts ou fermés, selon les besoins, viseront à générer un impact positif au sein d’une communauté de confiance de l’IA de défense. Ils favoriseront un partage plus efficace entre laboratoires, recherche, start-up, grandes entreprises et administrations.
Dans le cadre de cette « guerre de l’IA », l’armée américaine a mis en œuvre le plan ambitieux « Replicator », visant à développer une armée de 2 000 chasseurs pilotés par des machines. Ce projet a ouvert la voie à une nouvelle génération d’entreprises collaborant étroitement avec l’armée pour fournir des solutions innovantes mêlant drones, algorithmes, nouveaux matériaux et technologies de propulsion au profit de la Next Generation Air Dominance (« nouvelle génération de domination aérienne », NGAD).
Numérique de combat
Une dynamique collective d’IA de confiance peut ainsi favoriser l’émergence d’un numérique de combat assumant pleinement son rôle de catalyseur dans l’innovation numérique au profit des armées. Cela nécessite la mise en place d’un échange public-privé équilibré et maîtrisé.
Par son déferlement, l’IA impose un équilibre public-privé schizophrénique imposant le renforcement de l’autonomie des armées comme préalable indispensable à l’accueil des innovations extérieures. Malgré ses remparts, la forteresse doit s’ouvrir pour animer un écosystème complexe mêlant coopération et concurrence.
Demain, la ligne de défense se pensera également sans uniforme, en nouant des partenariats avec des administrations partenaires, des alliés internationaux, des industriels établis et des start-up innovantes afin de canaliser le foisonnement de l’IA. Ce bastion pourra être à la convergence de divers milieux, afin de stimuler une culture administrative créatrice tout en renouvelant le tissu économique établi.
En mobilisant l’ensemble des communautés, en concevant des cadres de confiance adaptés, la France pourrait ainsi se positionner dans la course aux algorithmes et garantir sa supériorité opérationnelle dans la guerre d’aujourd’hui et celles de demain. C’est à ces conditions que les militaires, experts, universitaires et ingénieurs pourront se mobiliser pour que, demain, la France et les armées françaises puissent tenir leur rang dans cette course aux algorithmes.
Note(s) :
Eric Autellet est général de l’armée de l’air, ancien major général des armées (2021-2023) et membre du Haut Comité à l’évaluation de la condition militaire ; Alexandre Papaemmanuel, enseignant à Sciences Po et à la Sorbonne, est administrateur du réseau d’investissement Défense Angels dédié aux technologies stratégiques
Source de l'article : Site Le Monde
Publié le 31 janvier 2024
Co-auteurs : Général de l’armée de l’Air et de l'Espace Eric Autellet
Alexandre Papaemmanuel
Transmis et publié avec l'aimable autorisation d'Alexandre Papaemmanuel, auditeur de la 68ème session Politique de Défense de l’IHEDN et président de la Commission Digital Defense de l'AA-IHEDN
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