CR du déjeuner-débat M. François Nicoullaud
Compte rendu du déjeuner-débat de la CAE du 16 Février avec l’Ambassadeur Nicoullaud sur le thème :”L’IRAN partenaire ou adversaire dans les crises du Moyen Orient ?”
L’Ambassadeur François Nicoullaud a une longue expérience diplomatique, ayant exercé notamment les fonctions d’Ambassadeur de France en Hongrie entre 1993 et 1997 et d’Ambassadeur de France en Iran entre 2001 et 2005. Depuis 2005, il est analyste de politique internationale spécialisé sur l’Iran et son environnement, ainsi que sur les questions de prolifération nucléaire et de désarmement.
En préambule, l’Ambassadeur rappelle ce qu’est l’Iran aujourd’hui : le pays le plus peuplé du Moyen-Orient (environ 80 millions d’habitants) et une république islamique, issue de la révolution de 1979. Après les paroxysmes de terreur interne post-révolution, puis la guerre contre l’Irak, le pays épuisé est entré en phase d’apaisement et de « bureaucratisation », tout en maintenant un zèle prosélyte à l’international (via le Hezbollah). Il est toutefois toujours la proie de factions diverses qui s’affrontent entre progressistes et religieux, tandis que la société civile est plus “avancée ” en dépit de l’islamisme et de la prééminence du Guide Khamenei sur le Président “modéré ” Rohani.
L’Iran se considère à la pointe de la civilisation dans la région et se positionne en phare du monde musulman.
Mais le bilan mitigé de la république islamique, notamment face à la corruption, fait émerger au sein de la société iranienne des aspirations qui pourraient en faire la première société « post-islamiste » du monde. Le régime a du mal à s’adapter à une société qui ressemble de plus en plus aux sociétés occidentales. Sur le plan intérieur, la levée des sanctions suite à l’accord avec les Etats-Unis sur le nucléaire pourrait favoriser ce mouvement. Les prochaines élections à l’Assemblée des experts seront décisives dans la lutte pour le pouvoir entre Modérés et Religieux soutenus par les Pasdarans (« garde prétorienne » du régime islamiste), toujours prêts à des coups de force tant à l’intérieur que pour lutter à l’extérieur -contre Daech par exemple.
Sur le plan international, les seuls succès ont été la création du Hezbollah chiite libanais, la chute des Talibans en Afghanistan et la fin du régime de Saddam Hussein, les deux grands ennemis de l’Iran, avec l’émergence en Irak d’un pouvoir chiite. Mais ce furent surtout des succès d’opportunité, l’Iran ayant bénéficié des erreurs d’autrui.
Les années récentes se sont caractérisées par une crispation des pays sunnites craignant la formation d’un « arc chiite », constitué par l’Iran, une partie de l’Irak, de la Syrie, du Yémen (les houtittes), des enclaves du Hezbollah, et potentiellement d’une partie (15%) de l’Arabie Saoudite, notamment dans les zones d’exploitation pétrolière. Les Pasdarans constituent le bras armé d’une « guerre de l’ombre ». La rupture des relations diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie saoudite en janvier dernier illustre ce haut degré de tension. Concernant la Syrie, l’Iran se positionne en soutien du régime de Bachar El Assad, qu’il considère comme un rempart face au risque de constitution d’un état djihadiste.
Pour le monde occidental, l’Iran continue d’être perçu comme une menace par un grand nombre de pays, malgré les récents accords sur le nucléaire : l’Iran maintient en effet son opposition frontale à Israël, et les Etats-Unis sont toujours désignés comme « le grand Satan » par le Guide Khamenei et les Pasdarans. Pour les conservateurs iraniens, l’accord sur le nucléaire ne constitue qu’une trêve. Les “réformistes “demeurent faibles car ce sont les “durs” du régime qui tiennent les principaux leviers du pouvoir. L’Histoire hésite donc et l’avenir demeure incertain.
L’Europe a une carte à jouer dans l’ouverture du pays par le biais de nouvelles relations économiques et même politiques. Le président Rohani souhaite développer les relations avec l’UE , car la position des Etats-Unis est susceptible de connaître des revirements suite aux prochaines élections présidentielles. Le récent voyage du président iranien en France est l’illustration de cette volonté d’ouverture, qui vise à accompagner une société aspirant, après une génération d’isolement, à rejoindre la communauté des nations. Mais Rohani sera t-il capable de faire évoluer le régime ?
L’arbitre sera la société iranienne, toujours traumatisée par les souvenirs de la terreur post révolutionnaire, qui espère des changements pacifiques. Mais le régime des Mollahs rêve d’un système ” à la chinoise” qui ferait perdurer sa domination exclusive.
Les participants ont ensuite posé de nombreuses questions, qui ont porté sur les modalités de l’accord sur le nucléaire, la nature des sanctions encore en vigueur, la position actuelle du clergé iranien par rapport au pouvoir politique (notamment le souhait de nombreux chiites d’une séparation entre le religieux et le politique – l’actuelle confusion des deux étant due à une minorité qui s’est imposée par la force grâce à l’Imam Khoméni -) ,la percée des Russes dans la modernisation de l’armée iranienne , l’identité culturelle du peuple iranien-forte depuis des millénaires ,et qui se démarque de la civilisation arabe .
Il a été souligné que, si elle a la volonté politique nécessaire, la France pourrait à nouveau jouer un rôle important, dans les secteurs d’excellence où ses principales sociétés étaient présentes (transports, pétrole, hôtellerie, environnement, traitement des eaux, etc..) et pour autant que les banques françaises accordent les financements nécessaires et n’aient plus à craindre des sanctions américaines (cf. BNP).
Les participants ont exprimé le vœu que la politique française envers l’Iran renonce aux rigides positions doctrinales qui sont les siennes depuis plus d’une dizaine d’années et que la France retisse des liens forts avec ce pays clef du Moyen Orient, héritier d’une des plus brillantes civilisations du monde, qui -quel que soit le régime-, fait toujours la fierté d’un peuple très nationaliste.
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